« Oh, quelle horreur! » s'écria Paulette. Il faisait un temps magnifique, un de ces ciels où c'est un bonheur qu'il y ait des flocons de nuages, pour que quelque chose y puisse être de ce rose léger qui les rend plus bleus. Au débusqué du Trocadéro, sur les marches, on se heurtait à cette grande cloche vide au-dessus de Paris, de la Seine et des jardins. Les jardins dévalaient toutes eaux dehors cascades, bouquets d'écume, jets surgis en panaches de la pièce centrale et chargés dans la lumière de statues d'or étincelantes, de massifs de fleurs vivaces, avec une couronne d'arbres inclinés jusqu'au fleuve, d'où jaillissaient, de droite et de gauche, tourelles et terrasses, de bizarres architectures de bois aux toits de couleur. Dans tout cela, la foule, une foule ahurie, bigarrée, avec des Arabes, des Anglais, des Parisiens, des badauds grimpés, le melon sur le nez, sur des ânes blancs conduits par des fellahs, les extravagantes modes de l'année avec leurs tournures embarrassantes et les petits chapeaux étroits et perchés, retenus d'une bride sous le menton, la flâne des ouvriers en blouse, des enfants qui courent dans vos jambes, et l'un d'eux dans les escaliers tombe et pleurniche, les pantalons rouges des militaires, les chéchias des spahis, les redingotes noires et cintrées de messieurs barbus qui pérorent, des floppées et des floppées de gens qui arrivent et qui s'en vont, comme un chassé-croisé de fourmis où l'on était pris, avec un relent de poussière et de sueur, la sensation irrépressible qu'on entrait pour des heures dans un engrenage de fatigue et d'émerveillement, qu'on allait rouler avec les autres, sans pouvoir s'arrêter, sur cette pente où déjà depuis e matin s'étaient esquintés les visiteurs solitaires, les familles époustouflées, les mille et une nations du monde accourues pour l'Exposition. « Oh, quelle horreur! » répéta Paulette. Elle commençait sous ses pieds, l'Exposition, par ce déballezmoi-ça de gogos, ce méli-mélo de bronzes d'art, de géraniums, de filles, de soldats, de bourgeois, de gosses, de grandes eaux, d'Annamites, de Levantins, d'étrangers frais débarqués et de voyous venus de la Butte, par ce pandémonium étonné, goguenard, bruyant, traînant la patte. Elle se poursuivait par-dessus la Seine, où le pont disparaissait sous un dais de toile rayée rouge et grise qui le transformait en un couloir happant les fourmis. Elle se poursuivait, l'Exposition, sur l'autre rive par toutes sortes de baraques barrant les quais, inégales, sans rapport entre elles, en bois, en pierres, en stuc, en métal, en carton, en plâtras, boursouflées, baroques, burlesques, bourgeonnantes, à balcons, à loggias, à balustrades, colonnettes, flèches, pignons, belvédères. Mais qui pensait à cette champignonnière burlesque, ou au quadrilatère, aperçu par derrière, du Champ-de-Mars bâti de pavillons de fer, de verre, de briques et de céramiques, jusqu'à la voûte bleue et verte de la Galerie des Machines, cette espèce de hangar géant devant l'Ecole militaire? Qui pensait de là-haut, du porche du Trocadéro où les Mercadier avaient fait halte, à quoi que ce fût au monde, à la foule, aux restaurants, aux bicoques, à la bouffée de musique berbère et de piaulements canaques qui s'échappait de tout ça dans l'après-midi finissante, qui pensait à quoi que ce fût, excepté à ce monstre aux pattes écartées, dont la dentelle d'acier dominait tout, trouant le ciel, avec ses étranges corbeilles, son enchevêtrement de câbles, son chapeau de verre là-haut, tout là-haut, dans les nuages roses, dans le bleu ébloui, dans la lumière déchirée. qui pouvait penser à autre chose qu'à cette tour de trois cents mètres, dont on avait tant parlé, tant médit, mais dont rien n'avait donné l'idée, l'ombre de l'ombre de l'idée. « Quelle horreur! » dit pour la troisième fois Paulette, et Pierre hocha la tête, et expliqua « Goût américain. » comme pour le champagne, et il enleva son chapeau neuf, dont le cuir lui serrait le front.
«Oh! Quelle horreur! s'écria Paulette» est l'incipit du roman d'Aragon «les Voyageurs de l'impériale» alors quelle impression?
J'ai eu du mal avec la question de grammaire perso: "Il faisait un temps magnifique, un de ces ciels où c'est un
bonheur qu'il y ait des flocons de nuages, pour que quelque
chose y puisse être de ce rose léger qui les rend plus bleus."